Société
Minute par minute, le récit du récit du récit de l’attaque dans le Thalys
Aline a 31 ans. Elle ignore que ce vendredi soir, sa vie va basculer. En ouvrant une page web, elle s’apprête à lire le récit de l’attaque dans le train Thalys. Pour nous, elle a accepté d’en faire le témoignage à un de nos journalistes. Celui-ci a accepté ensuite de faire le récit du récit du récit, minute par minute.
Aline a 31 ans. Elle ignore que ce vendredi soir, sa vie va basculer. En ouvrant une page web, elle s’apprête à lire le récit de l’attaque dans le train Thalys. Pour nous, elle a accepté d’en faire le témoignage à un de nos journalistes. Celui-ci a accepté ensuite de faire le récit du récit du récit, minute par minute.
20h00
C’est l’heure à laquelle un de nos journalistes reçoit un appel. On lui demande de prendre le témoignage d’une jeune fille qui a lu le récit de l’attaque dans le Thalys, arrivée quelques heures auparavant. « Je ne savais pas où je mettais les pieds, c’était à la fois stressant et motivant » racontera-t-il plus tard.
20h10
Un premier coup de fil. Mais c’est un faux numéro. Après enquête, il s’avère qu’un des assistants de rédaction a mal noté le numéro. Le dernier chiffre est-il un « 1 » ou un « 7» ?
20h11
La majorité de la rédaction vote pour un « 1 », le numéro est alors à nouveau composé.
20h11, quelques secondes plus tard
À nouveau, faux numéro. Il s’avère qu’il s’agissait donc bien d’un 7.
20h12
Le numéro est cette fois composé normalement, la conversation est prête à être enregistrée sur magnétophone.
20h13
Aline répond. Elle se dit encore sous le choc de la lecture. « Je ne me sentais pas prête à raconter ce que j’ai lu. Tous ces mots et ces paragraphes, ainsi que le minutage des événements sont encore dans ma tête » raconte-t-elle dans le combiné téléphonique qui permet d’entendre ce qu’elle dit comme si elle était dans la même pièce que nous.
20h16
Quelqu’un entre dans la petite salle où se trouve le journaliste en communication et demande bruyamment pourquoi personne n’a changé le filtre de la cafetière. Plusieurs insultes sont échangées du fait qu’il dérange l’interview en cours. L’homme claque la porte violemment, peste contre les conditions de travail. « J’étais vraiment énervé. Après ça, je crois que j’ai pris ma veste et je suis parti, je ne pouvais pas rester dans le bureau avec une telle ambiance détestable » affirme-t-il, pointant du doigt que les problèmes de changement de filtre de la machine à café sont loin d’être isolés. « Ce n’est pas le but de cette interview » lui précise-t-on. En colère, il raccroche, pestant que « C’est jamais le bon moment pour parler des problèmes dans cette boîte de merde ».
20h16
L’interview reprend avec Aline. Elle ne se rappelle pas dans quelle position elle se trouvait en lisant le récit de l’attaque. « Peut-être sur l’ordinateur de mon bureau, mais pas sur mon portable. Dans tous les cas, j’étais assise ». Aline est cependant incapable de se rappeler le modèle de chaise. Nous en déduisons qu’il s’agit d’un modèle courant de chaise de cuisine. Une autre théorie laisse penser qu’il pourrait s’agir d’une chaise de bureau réglable.
20h26
Aline se souvient qu’un détail l’a marquée dans le récit, le calme des passagers. « Alors que moi à la lecture, j’étais dans un grand état de stress. J’ai scrollé plusieurs fois avec ma souris ». Cette partie du témoignage confirme qu’elle était bien sur son ordinateur et non sur un mobile, car un téléphone mobile est dispositif électronique portable ne possédant par de souris. « Oui mais on peut scroller avec certains boutons » note un intervenant. « Cela n’en fait pas une souris » corrige un autre.
20h30
Aline confirme que sa chaise est un modèle de fauteuil bureau de type réglable. Dans la foulée, elle envoie un mail avec une photo pour le prouver.
20h35
Suite du récit du récit. Aline raconte comment elle arrivée à la fin de la page Web. « Je crois avoir relu en entier une seconde fois l’article pour m’en faire une bonne idée ». S’est-elle sentie en danger ? « Non, je ne prends pas le Thalys » ajoute-t-elle. Mais une amie à elle a ses parents qui vivent à une vingtaine de kilomètres d’Arras. « Par chance, ils étaient en Australie au moment du drame ».
20h40
Fin de l’interview. Nous remercions Aline, lui demandons si elle a besoin d’une aide particulière pour surmonter cette situation. « Cela ira, je pars en week-end demain, cela me permettra d’oublier un peu, de penser à autre chose. La vie continue, je me dis que je lirai d’autres récits de drame plus tard, qui sait ».
20h41
Nous raccrochons. Chacun dans la pièce se regarde. Certains soufflent enfin, d’autres laissent échapper la tension accumulée tout au long de ces très longues minutes. « Quand j’ai entendu le déclic du téléphone qui raccrochait, je n’ai pas pu m’empêcher de soupirer, peut-être trop bruyamment, mais je savais que c’était derrière nous et qu’on allait enfin partir en week-end » raconte une collaboratrice.
20h42
Un journaliste fait remarquer que le magnétophone censé enregistrer la conversation avec Aline ne comportait pas de cassette audio.
La Rédaction
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