France
Mais surtout évitons l’escalade
Depuis que la guerre a éclaté, pardon, l’opération militaire spéciale, menée par un véritable boucher criminel de guerre sadique, pardon, homme politique rugueux, on ne cesse de nous répéter qu’il faut éviter l’escalade. Il est vrai que bombarder de prime abord une maternité, un théâtre transformé en abri, ou même carrément envahir un pays souverain, cela n’en était pas une, d’escalade. Bah non.
Il y a deux semaines, l’un d’entre nous s’est rendu à Przemysl, en Pologne, à 3 kilomètres de la frontière ukrainienne, dans un ancien centre commercial reconverti en camp de réfugiés. Là, sur de simples lits pliants, dorment des centaines de personnes. Dans ce qui avait été autrefois une boutique, un magasin avec ses rayonnages et tout ce qu’il en reste sont les vestiges délavés de publicités qui n’ont pas toutes été arrachés. Ici, on y dort, serrant dans ses bras un bagage, un sac ou un petit animal qu’on a pu emporter avant de quitter sa ville, son quartier, son village, sa vie. Du moins, ils essaient de dormir car les lumières blanches et blafardes de ce gigantesque dortoir ne sont jamais éteintes, par sécurité.
Il y a là des femmes, des enfants, des personnes âgées, les hommes en âge de combattre sont pour beaucoup restés sur place. Des enfants jouent au milieu des volontaires en chasubles jaunes (au dos ils ont inscrit au marqueur les langues qu’ils parlent). Tout le week-end, un homme, mascotte d’une équipe de hockey sur glace de Slovaquie qui vient d’être éliminée, est venu avec son costume d’écureuil. Il accueille les mômes, il met l’ambiance, il danse. Ils distribuent de petits sacs à dos. Les volontaires de la World Central Kitchen fournissent des repas 24h/24. Le flux d’arrivée de réfugiés est permanent.
Sans un bruit, sans un cri, ils descendent des bus qui stationnent sur le parking dominé par la silhouette de l’ancien Tesco. De l’extérieur, on pourrait penser à un jour de départ et d’arrivée de vacances, dans une gare routière. Tout est étrangement calme. Une fois l’accueil passé, une fois qu’ils ont récupéré leur précieux bracelet QR code qu’ils doivent présenter à chaque entrée et sortie du camp, ils cherchent alors le numéro du dortoir qu’on leur a attribué. Puis enfin ils arrivent devant l’emplacement dans lequel ce soir ils dormiront. Ils posent leur sac pour la première fois depuis qu’ils ont quitté l’Ukraine.
En fonction du pays d’accueil qu’ils ont choisi, ils dorment dans un dortoir particulier. Il y a le dortoir français (et anglais), en face de l’autrichien. Plus loin l’Espagne, la Suède. Il y a même une petite salle de projection qui diffuse des dessins animés, ce soir à 18h30, n’oublie pas de retirer ton petit pot de pop-corn, ajoute l’affiche dessinée à la main. A l’entrée du camp, des landaus, des poussettes, des fauteuils roulants, des déambulateurs, qui ont été donnés par les Polonais.
On nous explique que ici « l’endroit est relativement safe (police et armée polonaises patrouillent non stop) comparé à la gare de la ville, où les gens sont entassés les uns sur les autres sans aides, sans sanitaires » et où règne aussi l’insécurité, les mafias. Certains, livrés à eux-mêmes, décident cependant de reprendre le train pour Lyiv, préférant se battre contre les Russes plutôt que de crever de faim en Pologne.
On est jamais « prêt » pour ce genre de situation. On se demande comment font les humanitaires, les vrais, ceux qui font de ce dévouement une vie entière, pour ne pas craquer. Mais les réfugiés eux le vivent cet enfer, tandis que vous, vous vous contentez de le traverser, c’est juste 72 heures de votre petite vie et au retour vous retournez péter dans vos draps de soie en vous disant que « ça pourrait très bien arriver demain chez nous » mais « fort heureusement que pas d’escalade ».
Ce week-end là, 70 personnes ont pu être ramenées via l’association Care4Ukraine, toutes avaient une famille d’accueil ou des points de chutes en France. T., accompagnée de sa maman de 86 ans, alors qu’elle prend son premier petit-déjeuner en France, dans une station-service près de la frontière, me dit en français. « Ma maison ? détruite, bombardée ! Toute ma vie est dans ces deux sacs ! Mais maintenant je suis en France, alors tout va bien. ». Elle s’arrête et le redit, très assurée. « Maintenant, tout va bien ».
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